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  • La militante féministe Anny Modi s’adresse à des personnes déplacées dans le camp de Kanyaruchinya, en République démocratique du Congo. Photo : Alain Wandimoyi/MONUSCO
    La militante féministe Anny Modi s’adresse à des personnes déplacées dans le camp de Kanyaruchinya, en République démocratique du Congo. Photo : Alain Wandimoyi/MONUSCO

Anny Modi : de fille-mère dans une zone de guerre à défenseuse des droits de la femme

Rédactrice : Sara Qamar

Dès son jeune âge, la militante féministe Anny Modi est inspirée par son père, un homme politique de l’ancienne République du Zaïre. Il « ne faisait pas de distinction entre filles et garçons. Il traitait tous ses enfants sur un pied d’égalité et nous poussait à donner le meilleur de nous-mêmes. »

Un idéal qu'elle garde près de son cœur lorsqu'à l'âge de 13 ans, à la mort de son père, Anny est déplacée dans la ville de Goma, au milieu d'un conflit meurtrier qui fait également la guerre au corps des femmes. « Goma abritait un très grand nombre de réfugiés dans un environnement déjà instable », raconte Anny. Lorsque la communauté la rejette, parce qu'elle la soupçonne d'appartenir à un autre groupe ethnique, Anny se retrouve encore plus isolée.

À Goma, Anny n'a pas accès à des produits de première nécessité, comme des serviettes hygiéniques, ni à des informations de qualité sur sa santé et ses droits sexuels. Elle finit par tomber enceinte à l’âge de 17 ans. « D’orpheline, je suis devenue une mère adolescente, toujours dans une zone de guerre. »

« Avant d’accoucher, j’avais l’impression que ma vie était finie », se souvient Anny. Mais les choses ont changé après la naissance de sa fille. « Elle est devenue ma nouvelle source de motivation, d’espoir et de courage. Parce que je voulais créer un monde meilleur pour elle et les autres filles. »

La fille d'Anny est née en 2000, l'année même où la résolution 1325 du Conseil de sécurité des Nations unies a été adoptée. Cette résolution historique réaffirme le rôle fondamental des femmes dans la prévention et la résolution des conflits. « Avant cette résolution, nous ne disposions d’aucun document juridique donnant aux femmes le pouvoir et la voix nécessaires pour revendiquer un espace de participation », explique-t-elle. Au cours des deux décennies suivantes, la détermination d’Anny à défendre les droits des femmes se renforce à mesure que le programme « Femmes, paix et sécurité » s’enracine.

« Notre système patriarcal décidait avant notre naissance, qui nous devions être, comment nous devions nous comporter, à quoi nous devions ressembler. Je ne pouvais pas m’y conformer. Je ne m'y suis pas conformée », déclare Anny. Aujourd'hui, Anny dirige sa propre organisation à but non lucratif, AFIA MAMA, qui travaille sur la santé et les droits sexuels et reproductifs en vue d'améliorer le bien-être des femmes et des filles. L’objectif est également d’éradiquer la stigmatisation et la discrimination à l’égard des personnes atteintes de VIH ou de sida et de celles qui ont survécu à la violence fondée sur le genre, y compris la violence sexuelle, le travail et le mariage des enfants.

Selon elle, les conséquences de la violence fondée sur le genre aggravent souvent le traumatisme des femmes et des filles. « Ce qui tue le plus les femmes et les filles, c'est le fait de ne pas être soutenues, de ne pas être crues, de ne pas être écoutées, d'avoir l'impression que le monde a oublié votre existence », déclare-t-elle. 

Elle a voulu devenir la « voix des sans-voix », en conseillant des dirigeants tels que le chef de la mission des Nations Unies, la MONUSCO, et le président de la République démocratique du Congo sur les besoins des femmes et des filles qui vivent des situations semblables à celles qu'elle a connues. « Lorsque les femmes savent que quelqu'un parle pour elles, que quelqu'un s'assure que leur voix est entendue, que leurs besoins sont pris en compte, qu'un espace est créé pour qu'elles puissent contribuer, participer et construire un environnement différent, elles reprennent espoir. »

 

Selon Anny, la solution pour prévenir la violence est de placer davantage de femmes à des postes de pouvoir et de permettre une participation plus significative des femmes aux instances de décision, en prenant en considération leurs points de vue dans la distribution des ressources et la fourniture de services sociaux. « Nous, les femmes, allons donner la priorité au bien-être de notre communauté et à la cohabitation pacifique », déclare-t-elle. « Tant que nous ne serons pas assises autour de la table, nous continuerons de subir les conséquences de décisions auxquelles nous n'avons pas participé. »

L’objectif ultime est de donner aux femmes et aux filles la « capacité de construire leur propre pouvoir d’action » et de veiller à ce qu'elles disposent des connaissances et des outils nécessaires pour atteindre l'indépendance économique.  « La santé sexuelle et reproductive des femmes et des filles est intimement liée à leur autonomie économique et à leur développement personnel. »

En République démocratique du Congo et partout dans le monde, il reste beaucoup à faire pour parvenir à l’égalité des genres, et les dirigeants ne sont pas toujours à l’écoute. Anny se sent-elle parfois découragée ? « Il y a de quoi être déçu quand les dirigeants nous promettent de faire mieux la prochaine fois et que la situation reste pratiquement inchangée », déclare-t-elle. Mais au lieu de baisser les bras, « nous en tirons encore plus de force pour poursuivre notre action ».

« Je garde toujours à l’esprit que c’est la motivation de créer un monde meilleur pour ma fille et les autres filles qui m’a poussée à faire ce travail. Tant que cet objectif ne sera pas atteint, je n'aurai aucune raison d'arrêter. »