En République centrafricaine, la prolifération des discours de haine et la désinformation fragilisent le tissu social – un danger d’autant plus aigu à l’approche des prochaines échéances électorales. Jadis propagés de bouche à oreille ou par les médias traditionnels, ces messages prennent aujourd’hui une nouvelle ampleur grâce à l’essor des réseaux sociaux, amplifiés par les avancées de l’intelligence artificielle. Face à ce fléau, certaines voix se lèvent pour défendre la paix et l’intégrité de l’information. C’est le cas de Britney Line Ngalingbo et Loïc Romy Gotto, deux journalistes devenus figures de proue de la lutte contre la désinformation.
Dans le paysage médiatique centrafricain, Britney Line Ngalingbo et Loïc Romy Gotto comptent parmi les figures emblématiques de la lutte contre le désordre informationnel.
Britney Line Ngalingbo est directrice de Centrafrique Check, une organisation engagée depuis 2020 dans la lutte contre la désinformation et les discours haineux en Centrafrique. De son côté, Loïc est journaliste à Radio Guira FM — une radio des Nations Unies — et produit l’émission « Et si on en parlait », consacrée aux problématiques liées à la désinformation et aux messages haineux. Il est également Community manager.
Tous deux partagent un objectif commun : « sensibiliser le grand public centrafricain à ne pas tomber dans le piège de la désinformation ou bien des discours haineux », affirme Line.
Pour Loïc, « la désinformation est un véritable danger parce qu'elle déchire le tissu social. Elle peut créer une tension dans un pays ».
© MINUSCA/Leonel Grothe | Loïc Romy Gorro, journaliste à Radio Guira pendant l'enregistrement d'une émission.
Identifier, vérifier et publierQue ce soit à Radio Guira ou à Centrafrique Check, le processus de vérification est similaire : il commence par l’identification de fausses informations ou de discours haineux, à travers le monitoring et la veille médiatique. Ensuite, les journalistes analysent l’impact de ces contenus sur le public et contactent des sources fiables afin de distinguer le vrai du faux.
« Une fois que les données sont recueillies, nous venons à la rédaction pour pouvoir monter l'émission, et une fois montée, c'est programmé pour la diffusion », explique Loïc. Line quant à elle, rédige un article qui sera ensuite publié en ligne. Ainsi, chaque information vérifiée devient une occasion d’éduquer l’audience sur les réflexes de vérification.
Une journée symbolique
Chaque 18 juin, le monde célèbre la Journée internationale de lutte contre les discours de haine, une occasion pour les Etats, les organisations internationales, la société civile et les individus d’échanger sur les moyens de combattre ce phénomène.
« C’est aussi une journée qui permet à la jeunesse centrafricaine de prendre conscience, de pouvoir s'interpeller sur les dangers autour des questions de la désinformation et des messages de haine » indique Loïc car, selon lui, « la désinformation peut toutefois emmener des troubles dans la vie politique et dans la société ».
© MINUSCA/Leonel Grothe | Britney Line Ngalingbo dirigeant une conférence de rédaction à Centrafrique Check
Sensibiliser, encore et toujoursPour freiner la propagation de ces contenus nocifs, Line mise sur la sensibilisation des internautes. En effet, la diffusion de propos haineux peut être un signe avant-coureur de violence. Savoir prévenir et limiter les discours de haine ou la stigmatisation, contribue à atténuer leur incidence.
« Il est important que toute la population centrafricaine puisse s'engager activement en essayant de s'interroger sur chaque information qu'elle reçoit, qu'elle puisse avoir un peu de notion de réserve sur les informations qu'elle obtient, qu'elle ne partage pas automatiquement toute information à sa portée. », plaide Loïc Romy Gotto
Des défis à surmonterMalgré leur engagement, ces acteurs de la lutte contre la désinformation font face à plusieurs obstacles : difficulté d’accès aux sources, menaces et harcèlement.
« La première difficulté, c'est que les personnes ressources ne veulent pas se prononcer sur des sujets comme la sécurité ou la politique. Raison pour laquelle souvent, nous sommes obligés de ne pas traiter des sujets liés à ces thématiques, non seulement pour la protection des personnes ressources, mais aussi pour notre propre sécurité », confie Line.
La difficulté de traquer les auteurs anonymes est un autre défis que souligne Loïc : « Sur les réseaux sociaux, la personne qui met l'information en ligne utilise parfois un pseudo ou crée un faux compte — un avatar — ce qui complique la possibilité de l’identifier ou de vérifier ses sources. »
Line évoque les intimidations :« J'ai été pointée du doigt sur les réseaux sociaux, accusée d’être pro-française parce qu'on a eu à traiter des sujets sur la France. J'ai été insultée sur les réseaux sociaux par des internautes. Il y a également le harcèlement sexuel et structurel », témoigne-t-elle.
Loïc, exerçant sous la bannière des Nations Unies, dit ne pas avoir été directement ciblé mais reconnait que c’est le cas pour d’autres fact-checkers ou personnes qui luttent contre la désinformation.
Pour des élections apaisées
À l’approche des élections locales et présidentielle en République centrafricaine, Loïc et Line lancent un appel aux citoyens : « Être des vérificateurs des faits pour ne pas tomber dans le piège de la désinformation ou bien des discours haineux », une condition essentielle pour la paix, l’unité et le développement durable du pays.
Ce message fait écho à l’appel lancé par le Secrétaire général des Nations Unies à l’occasion de cette journée : « Prenons l’engagement d’utiliser l’intelligence artificielle non pas comme un outil de haine, mais comme une force au service du bien ».