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Natacha Ndokoyanga : « Bien manager une prison, nous les femmes aussi pouvons le faire »

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Contrôleur pénitentiaire et régisseur de la Maison d’arrêt centrale de Bouar (la préfecture de la Nana-Mambere), Natacha Clarisse Ndokoyanga a participé à une formation du 2 au 3 mars 2023, à Bangui sur « Le rôle du personnel pénitentiaire féminin dans la gestion sécuritaire des prisons en République centrafricaine ». Organisée par la Direction générale de la sécurité pénitentiaire avec l’appui de la MINUSCA, en prélude à la Journée internationale des femmes, cette formation vise à optimiser la gestion des établissements pénitentiaires conformément aux standards nationaux, régionaux et internationaux en matière de sécurité et de traitement des détenus. Une formation qui a permis à Natacha et ses 34 collègues d’assurer leurs fonctions avec plus efficacité. Avant son retour à Bouar, elle a accepté de répondre à nos questions sur les acquis de cette session et la manière dont elle compte mettre en pratique ces nouvelles connaissances acquises.  C’est dans une interview réalisée par Grâce Ngbaleo

MINUSCA : Natacha Clarisse Ndokoyanga, vous êtes contrôleur pénitentiaire et régisseur de la Maison centrale de Bouar. Parlez-nous un peu de votre parcours professionnel.

Natacha Clarisse Ndokoyanga : Je suis centrafricaine et formée à l’Ecole nationale d’administration et de la magistrature (ENAM), 2e promotion. J’ai totalisé déjà 14 ans de services. J’étais régisseur de prisons pour femmes auparavant. Après l'intégration, on m'a affecté à Bozoum puis à Kanga-Bandoro comme régisseur, toujours dans la prison pour femmes et maintenant, je suis à la Maison centrale de Bouar qui est une prison mixte. Au début, nous étions 16 femmes formées en 2018, dans le but de travailler aux côtés des femmes détenues, et après il y a eu un problème d'effectif du personnel, raison pour laquelle j’ai été affectée dans une prison mixte.

Q : Qu’est ce qui fait votre particularité ?

R : J’ai opté pour ce travail par vocation, celle d’aider mes frères qui ont enfreint à la loi. Ma plus grande qualité reste le travail, le professionnalisme et la compétence.  On m'apprécie par rapport à ce que je fais sur le terrain.  Gérer la prison n’est pas facile et de surcroît pour une femme.  Gérer les hommes, les militaires, le personnel pénitentiaire, les détenus, les détenues femmes ainsi que les partenaires ; donc on regroupe tous ces problèmes sur nous.  Mais comme à l'école, on nous a appris comment gérer, comment diriger, j’ai mis toutes ces compétences en œuvre. Et aujourd’hui, je suis fière de diriger une grande prison comme celle de Bouar. Car bien manager la prison n’est pas réservé seulement aux hommes. Nous les femmes aussi nous pouvons le faire.

Q : En quoi consiste concrètement la gestion d'une prison ?

R : Quand on est régisseur, on a des attributions déterminées par le décret portant organisation et fonctionnement des établissements pénitentiaires. Le régisseur c'est le principal responsable de l'établissement ; c'est lui qui coordonne toutes les activités au sein de l'établissement, il répartit les tâches avec ses collaborateurs et a le contrôle de toutes les activités, y compris des détenus, du personnel, du matériel et de toutes les activités de réinsertion socioprofessionnelle des détenus au sein de l'établissement.

Q : Vous venez de prendre part à un atelier sur « Le rôle du personnel pénitentiaire féminin dans la gestion sécuritaire des prisons en République centrafricaine ». Qu’est-ce que cette formation vous apporte de nouveau  et comment comptez-vous les mettre en œuvre ?

R : Dans cette formation, on nous a demandé la prise de conscience parce que souvent nos sœurs qui sont de la garde ne veulent pas monter la faction ; elles pensent que le travail de la sécurité relève seulement des hommes ; ce sont les hommes qui devaient faire les rondes, monter au mirador, alors que non !  Nous les femmes aussi nous pouvons assurer ces tâches. Donc on doit occuper tous les postes, escorter les détenus monter au mirador, puis faire les rondes. Donc le travail de la sécurité, ça concerne tout le monde, ce n’est pas une question des hommes. Et même si c’est un milieu fermé, un milieu très sensible, nous les femmes aussi nous devrons mettre toutes nos compétences en œuvre pour aider nos frères qui sont en détention afin de préparer leur future insertion socioprofessionnelle. Avec les connaissances acquises, moi j'ai pris l'engagement de travailler comme on nous a appris. On doit travailler, on doit respecter ce que disent les textes et puis on doit surveiller et contrôler toutes les activités au sein de la prison.

Q : Pouvez-vous nous parler de vos principales réalisations et des résultats obtenus ?

R : Vous savez, la prison c'est un lieu de rééducation et de formation.  Les gens pensaient que la prison est un lieu de torture, quand tu pars à la prison c'est pour  souffrir ; mais actuellement, la politique de l’Administration pénitentiaire c'est de développer la production pénitentiaire, de former les détenus.  Donc au niveau de la maison centrale de Bouar, nous avons mis en place des programmes d'activités en faveur des détenus, à savoir la fabrication de sacs à main, de savons liquides, nous avons un atelier de menuiserie. Nous avons aussi un programme d'alphabétisation, un poulailler au sein de la prison et nous sommes en train de développer la pisciculture au sein de la Maison centrale.

Q : Qu’en est-il des résultats ?

R : Nous avons des détenus qui travaillent dans les ateliers, eux, ils ont une partie des retombées qu’on appelle souvent les pécules des détenus, prévus dans les textes. Donc on prend une petite partie pour le pécule des détenus, une partie pour le refinancement, soit pour acheter les matières premières et une partie pour le fonctionnement de la prison. Donc toutes les activités réalisées contribuent à l'amélioration des conditions de vie des personnes privées de liberté, permettent également d'éviter les cas de récidive et d'alléger aussi les charges de l'Etat.

Q :  Un mot sur vos habitudes ?

R :  Sur le lieu de travail, je m’adonne entièrement à mon travail. Mais une fois chez moi, je me dois aussi d’effectuer mes devoirs de femme. Laver les habits, éduquer les enfants, faire du rangement… en un mot, m’occuper de ma petite famille. J’aime aussi faire du sport, et j'aime la vérité, la franchise.  Je déteste l’hypocrisie et la manipulation.

Q : Quelle est la principale difficulté que vous avez rencontrée dans votre carrière ?

R : Conflit de compétence. J’entends beaucoup d’hommes me dire : « toi femme tu ne peux pas nous commander, tu ne peux pas nous diriger, tu ne peux pas gérer une prison comme la Maison centrale de Bouar,  tu es formée pour travailler à côté d’autres femmes… mais pourquoi te mesures-tu aux hommes ? ».

Q :  Avez-vous une anecdote à nous raconter ?

R : Oui, en effet. C’est à propos d’un détenu qui s'est évadé à Bouar et que j’ai trouvé au niveau du marché. On était avec beaucoup de personnes en train de prendre un pot, et je me suis déplacée discrètement, quand j’avais aperçu le monsieur. Je l’ai suivi doucement et j’ai appelé mon élément de sécurité,  en lui demandant de venir avec une menotte et de me trouver à tel endroit. Une fois arrivée, je lui ai donné la consigne de me suivre discrètement et de ne pas me devancer ;  et on a réussi à attraper le monsieur et à le ramener à la prison.

Q :  Parlez-nous un peu de vos aspirations pour l’avenir…

R : Je voudrais retourner à l'école et pouvoir faire des formations dans mon domaine. Aller dans d'autres pays pour acquérir de nouvelles expériences et venir les développer en République centrafricaine.  Mon ambition, c’est aussi de voir mes frères détenus devenir de bonnes personnes demain et servir le pays.