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  • Des personnes défilent lors d’une marche des fiertés, entourées de ballons colorés.
    La Marche des Fiertés à Pristina, au Kosovo. Photo: MINUK

Construire une paix inclusive : comment les communautés LGBTIQ+ comblent les divisions à Chypre et au Kosovo

Photo of Elssa Gbeily

 

Cet article a été rédigé par Elssa Gbeily, ancienne Consultante en communications stratégiques pour le Département des opérations de paix des Nations Unies, spécialisée dans les questions de genre, de paix et de sécurité.

 

 

Chaque année, en juin, le Mois des Fiertés met en lumière les droits et les identités des personnes LGBTIQ+*. Pour les Nations Unies et ses Casques bleus, le Mois des fiertés est plus qu'une célébration, c'est un appel à assumer notre responsabilité commune de protéger les droits et la dignité de toutes les personnes, peu importe leur orientation sexuelle ou leur identité de genre.  

De nombreuses opérations de maintien de la paix sont menées dans des environnements où les personnes LGBTIQ+ souffrent de stigmatisation, de discrimination ou d'obstacles juridiques. Malgré ces difficultés, les missions trouvent des moyens adaptés au contexte pour soutenir l'inclusion fondée sur les droits sans mettre en péril leur impartialité ou les relations avec le pays d'accueil.  

Pour les opérations de maintien de la paix des Nations Unies au Kosovo** et à Chypre, la promotion des droits des personnes LGBTIQ+ est devenue non seulement un impératif en matière de droits de l'homme, mais aussi une stratégie concrète pour instaurer la confiance, renforcer la cohésion sociale et prévenir les conflits.

 

Créer des ponts entre les communautés à Chypre

Sur l'île de Chypre, les Chypriotes grecs et les Chypriotes turcs vivent de part et d'autre d'une  zone tampon administrée par les Nations Unies. Bien que Chypre soit devenue indépendante en 1960 avec une constitution visant à équilibrer les intérêts des deux communautés, une série de crises constitutionnelles a conduit à l'éclatement de violences en 1963. Une opération de maintien de la paix des Nations Unies, la Force des Nations Unies chargée du maintien de la paix à Chypre (UNFICYP), a ensuite été mise en place et contribue aujourd'hui au maintien de la paix le long de la zone tampon.  

Promouvoir la confiance et la réconciliation entre les deux communautés est au cœur du travail de l'UNFICYP en faveur de la paix. La mission collabore avec la société civile, les diplomates, les organisations internationales et les communautés locales pour organiser des événements qui rassemblent les gens. Elle a trouvé un allié de taille dans la communauté LGBTIQ+, véritable moteur de réconciliation. 

En collaboration avec les communautés LGBTIQ+ des deux côtés de l'île, la mission a soutenu des activités liées à la Fierté à travers l'île, notamment un festival de films queer et une conférence conjointe sur les droits des LGBTIQ+ en matière de santé et d'éducation. Cette conférence a été organisée par des associations locales et le Haut-Commissariat britannique, et s'est tenue à l'intérieur de la zone tampon des Nations Unies.  

« Pour moi, cela montre vraiment que, malgré les obstacles, nous avons réussi à nous rassembler, à organiser des événements collectifs et à montrer une voie à suivre », explique Theo Ieronymides, un Chypriote et cofondateur de Queer Collective, une initiative qui relie des personnes LGBTIQ+ de part et d’autre de la division. 

En soutenant des initiatives qui créent des ponts entre les communautés chypriotes grecques et chypriotes turques, l'UNFICYP et ses partenaires LGBTIQ+ favorisent la reconnaissance mutuelle et contribuent à déconstruire les divisions identitaires qui alimentent les tensions.  

« Les personnes LGBTIQ+, ainsi que celles qui les accompagnent pour défendre leurs droits, ont prouvé à maintes reprises que les communautés étaient irremplaçables dès lors qu’il s’agissait d’apporter une aide et d’œuvrer au changement », a souligné le Secrétaire général des Nations Unies, António Guterres, en mai dernier

 

 

Soutenir les droits de la personne au Kosovo pour une gouvernance inclusive et une résolution durable du conflit

Depuis le conflit de 1999 au Kosovo, qui a laissé de profondes divisions entre les communautés ethniques, la Mission d'administration intérimaire des Nations Unies au Kosovo (MINUK) défend les droits de la personne et favorise la réconciliation. La promotion des droits des personnes LGBTIQ+ fait partie intégrante de ce travail, car l'inclusion et l'égalité sont indispensables pour instaurer la confiance et parvenir à une paix durable.  

En collaboration avec le Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l'homme (HCDH), la MINUK soutient les efforts déployés pour lutter contre la discrimination, notamment en appuyant le tout premier défilé des fiertés du Kosovo en 2017. 

La MINUK fait également partie du Groupe consultatif et de coordination du Kosovo pour les droits du groupe LGBTI, aux côtés du gouvernement, de la société civile et d'acteurs internationaux. La mission apporte une contribution technique, notamment en ce qui concerne la politique de lutte contre la discrimination, et a participé à la rédaction du futur  

« Plan d’action en faveur des droits des personnes LGBTI au Kosovo pour la période 2024-2026 », le premier de ce type au Kosovo. Ce plan englobe la santé, l'éducation et la culture, la lutte contre les discriminations et la sensibilisation, et vise à renforcer la coopération entre les institutions gouvernementales et la société civile. 

La MINUK soutient le Civil Society Human Rights Network (Réseau de la société civile pour les droits de la personne), une coalition de sept organisations locales défendant les groupes marginalisés, y compris les personnes LGBTIQ+. Le réseau documente les violations des droits, encourage les réformes juridiques et sensibilise la population. Dans son rapport pour 2024, le réseau met l'accent sur des questions telles que les crimes haineux et le manque de soins de santé et d'abris, et demande que des mesures législatives soient prises pour protéger l'identité de genre et légaliser les unions entre personnes de même sexe. 

En travaillant avec la communauté LGBTIQ+ et d'autres partenaires pour lutter contre les inégalités et la discrimination, la MINUK joue un rôle essentiel dans la promotion des droits de la personne, de la réconciliation et de la sécurité au Kosovo. Ces actions ne profitent pas seulement à la communauté LGBTIQ+, elles contribuent à construire une société plus inclusive et plus unie, où la paix a plus de chances d'être maintenue pour les générations futures.  

Les cas de Chypre et du Kosovo constituent des enseignements précieux pour d'autres missions cherchant à promouvoir l'inclusion dans des contextes profondément divisés, car ils montrent que même dans des environnements fragiles, de petites initiatives locales peuvent jeter les bases d'une transformation sociétale plus large.

 

 

L'inclusion des personnes LGBTIQ+ comme fondement d'une paix durable   

En juin 2024, l’ONU a lancé sa toute première stratégie visant à prendre en compte les personnes LGBTIQ+ dans l’ensemble de ses domaines d’action, y compris les opérations de maintien de la paix. S’appuyant sur la campagne « ONU Libres & Égaux », lancée en 2013 par le Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l'homme, cette stratégie renforce l’engagement de l'ONU à reconnaître les droits, les besoins et les contributions des personnes LGBTIQ+. Ensemble, ces initiatives visent à rendre les efforts de paix, humanitaires et de développement plus inclusifs et efficaces.  

La mise en œuvre de cette vision dans les contextes de maintien de la paix peut s’avérer complexe. « De nombreuses missions de l’ONU sont déployées dans des pays où les questions liées aux personnes LGBTIQ+ sont taboues, et où les personnes et organisations LGBTIQ+ peuvent faire face à des restrictions juridiques, ce qui rend ces sujets difficiles à aborder », explique Albert Trithart, chercheur à l’International Peace Institute (Institut international de la paix) et auteur de l’un des premiers rapports sur l’inclusion des personnes LGBTIQ+ dans les opérations de maintien de la paix de l’ONU. 

Il voit toutefois dans l’adoption de la stratégie LGBTIQ+ une véritable opportunité. 
« La stratégie exige des missions de l’ONU et de l’ensemble du Secrétariat qu’ils intègrent la protection et la promotion des droits des personnes LGBTIQ+ dans leurs programmes, et qu’ils ‘garantissent une participation sûre et significative des personnes LGBTIQ+ aux politiques et programmes qui les concernent’. »  

Selon lui, de nombreux aspects du travail actuel des opérations de paix peuvent contribuer à faire progresser les droits des personnes LGBTIQ+ et, plus largement, à faire avancer la paix. « Un domaine clé est celui du signalement. Les violences visant les personnes LGBTIQ+ sont souvent invisibles, en particulier en contexte de conflit armé. Les missions qui documentent déjà les violences sexuelles liées aux conflits pourraient aussi contribuer à attirer l’attention sur les violences motivées par l’orientation sexuelle ou l’identité de genre. »  

En comprenant mieux les dynamiques de violence, les missions de maintien de la paix seront en mesure d’y répondre plus efficacement et de promouvoir davantage la sécurité.

Ensemble, les opérations de paix de l’ONU, les États Membres et nos autres partenaires peuvent faire progresser et élargir les efforts menés avec les communautés LGBTIQ+ pour protéger leurs droits et faire avancer une paix plus inclusive et durable. « En conjuguant nos forces, faisons pression pour abroger les lois discriminatoires, combattons la violence et les pratiques préjudiciables et empêchons qu’on continue de transformer les communautés marginalisées en boucs émissaires », a déclaré le Secrétaire général Guterres en mai. « Nous n’aurons aucun repos tant que ne seront pas reconnus et mis en œuvre les droits de toutes les personnes – peu importe qui elles sont ou qui elles aiment. » 

* LGBTIQ+ désigne les personnes lesbiennes, gays, bisexuelles, transgenres, intersexes et queers.  

** Les références au Kosovo doivent être comprises dans le contexte de la résolution 1244 (1999) du Conseil de sécurité.